La Méditerranée en bateau gonflable
1e partie : La traversée
Ana, les enfants et moi passons les vacances à Conil de La Frontera, une ville andalouse située au sud de Cadix, sur la côte atlantique. Le cadre est splendide, fidèle à la carte postale espagnole d’antan. Le cœur de la ville, avec ses maisons blanches typiques de l’Andalousie, ses labyrinthes de rues entrelacées, ses cours décorées de fleurs colorées, est sans conteste le plus bel endroit pour flâner au soleil. Les murs blancs, couverts de pots en terre cuite, toujours joliment disposés et remplis de fleurs, respirent la douceur de la vie.
Nous avons loué une maison construite en pierre dans l’arrière-pays, au milieu des chevaux et des vaches en liberté. En ce mois d’août, la température dépasse les quarante-cinq degrés dans les terres espagnoles, mais à Conil, l’océan apporte un air bien plus supportable. On n’est pas loin du paradis.
Nous avons beaucoup travaillé ces derniers mois. Nous sommes exténués. Un peu plus que les autres années. Nous avons besoin de nous reposer, de changer d’air, d’oublier nos soucis. L’Andalousie nous apporte un souffle vivifiant avec le soleil, la mer, la campagne, ses paysages, sa vie douce et agréable, et les longues soirées dans les restaurants et les bars où les habitants chantent des airs de flamenco et vous parlent comme si vous étiez de la famille. Cette vie de partage où chacun apporte ce qu’il est, et fait ce qu’il sait faire – chanter, parler, sourire, écouter – nous apporte le repos et le bien-être dont nous avions besoin.
Ana et moi sommes très heureux d’être en Andalousie. Ni elle, ni moi ne regrettons d’avoir fait plusieurs jours de voiture avec les enfants pour avaler deux mille kilomètres depuis la France. Nous sommes partis de Lyon, et avons choisi de passer par Bordeaux, puis de descendre jusqu’à Bilbao dans le pays basque espagnol, où nous avons passé notre première nuit de vacances. Après quelques balades dans le Nord espagnol, nous sommes repartis en direction du sud pour une nouvelle escale à Salamanque. Je voulais montrer à Ana cette ville que j’avais eu l’occasion de découvrir quinze ans auparavant. Nous avons visité la vieille ville à l’architecture unique avec sa célèbre université, ses cathédrales, la Plaza Major, et la maison aux coquillages. Et enfin, nous avons traversé l’Estrémadure et l’ouest de l’Andalousie pour arriver à Conil.
Ce treize août est une journée particulière. On a prévu de prendre le ferry pour passer la journée à Tanger, au Maroc. Les enfants, qui n’ont encore jamais quitté le continent européen, sont très excités à l’idée de prendre le bateau et fouler le sol africain. On se lève tôt et on part à six heures en direction de Tarifa, où se trouve la pointe la plus méridionale de l’Europe continentale. De là, nous prenons le bateau pour traverser le Détroit de Gibraltar jusqu’à Tanger.
Le voyage doit durer à peine quarante minutes pour parcourir les quelque trente kilomètres qui séparent les deux ports. Notre navire est un catamaran géant pouvant transporter des centaines de passagers et des dizaines de véhicules. Nous sommes installés dans de larges fauteuils très confortables, disposés dans une immense cabine perchée à sept ou huit mètres au-dessus de la surface de l’eau. Elle nous protège efficacement de la fraîcheur matinale. J’ai choisi un fauteuil sur le côté, contre la vitre, afin de faire des photos de la mer et du port.
À dix heures du matin, notre bateau attend pour accoster à Tanger. Ceux qui ont voyagé au Maghreb savent combien les horaires indiqués sur les billets de transport sont une simple information donnée à titre purement indicatif pour avoir une très vague idée de l’heure d’arrivé. Ce matin, après des jours de soleil éclatant sans le moindre nuage, un épais brouillard a fait une apparition inattendue dans le détroit de Gibraltar. Nous sommes partis d’Espagne avec une visibilité réduite, mais à l’approche des côtes marocaines la lumière du soleil commence à traverser l’amas des fines gouttelettes. Le commandement du bateau émet un premier signal sonore, on se dit qu’il avertit de l’accostage. Cependant, la corne de brume émet rapidement un deuxième signal, puis un troisième.