2e partie
Il ne sort pas tout à fait indemne de cette jeunesse chrétienne. Il est amer, car il a le sentiment de s’être trompé, d’avoir cru l’incroyable, d’être tombé dans un piège grossier qu’il n’a pas vu durant des années. Il se sent honteux. Il voudrait effacer cette part de sa jeune vie dont il n’est pas fier. Il abandonne la messe et le catéchisme, ne veut plus voir le prêtre. Par réaction, il refuse désormais de rentrer dans les églises, y compris pour les mariages et les visites culturelles.
La communion l’a fait grandir, il veut s’affirmer, se construire une personnalité par lui-même, sans écouter les autres. Il n’en veut pas vraiment à ses parents de l’avoir initié puis poussé dans un itinéraire de croyance dogmatique, ils ont agi par tradition et obligation envers la famille et les amis du village, par peur du qu’en-dira-t-on. Il se dit qu’ils n’avaient peut-être pas la force et les armes culturelles pour s’opposer à une organisation instituée depuis des décennies. Mais lui veut avoir les bagages pour dire non, il veut apprendre pour s’émanciper, et dorénavant il n’acceptera plus rien les yeux fermés. Il va réfléchir sur ce qu’il fait, ce qu’il voit et ce qu’il dit. Il ne sera plus le petit garçon naïf.
À quatorze ans, il cherche à comprendre ce qu’est la vie et d’où elle vient. Mais il est convaincu que la religion ne peut pas apporter de réponse, elle est trop emplie de mensonges et d’erreurs. Il ne comprend pas comment tant de gens continuent à croire en Dieu, à aller à la messe et à prier. Pourquoi ses grands-parents, ses tantes, sa mère, ses cousins continuent-ils à écouter le prêtre ? Quelle légitimité peuvent-ils bien lui trouver ? Croient-ils vraiment en un Dieu créateur de la terre et du ciel ? À la Vierge Marie ? À Jésus ressuscité ? À l’esprit saint et la vie éternelle ? Qui se trompe, les autres ou lui ?
Il décide alors de lire la Bible et de se faire sa propre idée sans écouter un curé lui expliquant le texte. Il commence par lire le Nouveau Testament que le prêtre lui avait donné lors de sa communion. Puis, trouve sur internet l’Ancien Testament, relatant l’histoire religieuse avant la naissance de Jésus. Il retrouve ainsi certains textes qui lui avaient été présentés au catéchisme et à l’église, mais cette fois-ci dans une version plus brute. Il est cependant surpris d’apprendre que les textes ont été écrits par des dizaines ou centaines de personnes sur une période de plusieurs siècles, et ont été ensuite adaptés et réécrits tout au long de l’Histoire pour s’adapter au contexte culturel de chaque époque.
Il apprend aussi que la Bible a été à maintes reprises un outil politique pour asseoir une autorité sur le peuple. Des rois et empereurs ont notamment sélectionné des textes et en ont interdit d’autres. Il prend conscience que le christianisme, qu’il imaginait reposer sur les textes écrits, s’est propagé au Moyen-Âge sur tous les continents, alors même que le peuple ne lisait pas, et que de toute manière la Bible n’était écrite que dans de vieux dialectes utilisés uniquement par le clergé. Avant l’invention de l’imprimerie mécanique au quinzième siècle et la publication de la Bible en latin, la transmission ne pouvait être basée que sur la parole. Cela ne semble pas très sérieux aux yeux de Jacques, qui devenait assez mature pour ne pas trop se fier à la parole des autres.
Il découvre finalement que la propagation de la religion s’est essentiellement faite par les guerres, les perdants devant se soumettre à la religion du roi vainqueur. Le peuple était tenu d’écouter et de croire les interprétations officielles données par le prêtre. Aucune remise en cause n’était possible sous peine de mort. Jacques voit alors un visage de la religion qu’il n’avait jamais imaginé. On lui avait dit, du moins l’avait-il compris ainsi, que les peuples Européens, Africains, Américains s’étaient convertis car ils avaient découvert la foi et avaient constaté la véracité des éléments apportés par les messagers du Seigneur. Il n’avait pas compris que le fusil et le canon étaient les meilleurs ambassadeurs d’une religion.
Pour sa lecture de l’Ancien Testament, il trouve plusieurs versions et choisit finalement Louis Segond 1910, car elle semblait être la version la plus répandue en langue française. De la lecture de la Genèse, il retient une mythologie relatant la vie d’êtres ayant vécu 130 ans, 162 ans, 703 ans, 895 ans. Adam, l’homme créé par Dieu, aurait vécu 930 ans et aurait eu son fils à l’âge de 130 ans. Jacques est consterné face à de telles invraisemblances. L’histoire racontée est romanesque, elle ressemble à un conte fantastique, avec un mélange d’évènements extraordinaires, d’aventures rocambolesques, de haine, de cruauté, et de bons sentiments. Pour Jacques, qui fait une lecture sans la foi, le livre relève du genre littéraire fantaisie car le récit comporte de nombreux éléments surnaturels et l’utilisation répétée de ce qui semble être de la magie. La Genèse lui rappelle les films Excalibur et Le Seigneur des anneaux qu’il a récemment vus à la télévision.