Le jardinier
Il ne voulait plus être jardinier
Il voulait enfin devenir chanteur
Le matin à l’aube ne plus se lever
Changer de vie en surmontant sa peur
Il serait bien là-haut dans la lumière
La nuit sur scène seul face aux projecteurs
Les arbres et les fleurs seraient si fiers
De le voir chanter encore et encore
Il ne voulait plus travailler la terre
Il voulait naviguer dans le ciel
Ne plus se baisser pour cueillir l’enfer
Il serait mieux fuyant le réel
En déposant là-haut dans la lumière
Avec douceur avec bonheur son cœur
Les arbres et les fleurs seraient si fiers
De le voir chanter encore et en cœur
Il vivrait là-haut avec les étoiles
Tous les soirs il éblouirait ses fans
De lumières blanches et chaudes poussant sa voile
Sur le chemin exaltant du profane
Les arbres et les fleurs seraient si fiers
De l’entendre chanter encore et en cœur
Les arbres et les fleurs seraient si fiers
De le voir chanter encore et en cœur
Il serait mieux c’est sûr à la lumière
Au-delà des vents et de la terre
À jamais devant l’éternité
Pétri de rêves et de liberté
Braver la peur pour voyager vers
Là où pourra mieux battre son cœur
Les arbres et les fleurs seraient si fiers
De le voir chanter encore et en cœur
Mais ce matin, il doit, encore une fois
Se lever tôt, trop tôt, une dernière fois
Pour s’en aller, bien seul, vers l’horizon
Sans les étoiles, sans les lumières, sans sons
Il sera seul une dernière fois
Face à ce vide il a fait son choix
Les arbres et les fleurs auraient été si fiers
De l’entendre chanter une dernière fois encore
Les arbres et les fleurs seront toujours si fiers
D’avoir connu le plus grand des chanteurs
Il est un arbre
Il lui en a fallu du temps pour devenir imposant,
Il lui en a fallu de l’énergie pour se déployer,
Lui qui ne peut bouger,
Lui si grand dans un territoire si petit.
Il a su trouver nutriments et carburant, chaleur et lumière,
Il a su naître et grandir depuis une minuscule graine
Posée dans le sol argileux,
Et qui, par le plus beau de la nature, s’est éveillée
Jusqu’à cet instant où la matière devint la vie.
Il m’est si agréable de le contempler,
Egoïstement puisque je peine à partager.
Il me parle en jouant avec ses feuilles et la lumière,
En modifiant les couleurs.
Et quand je touche sa peau crevassée
Aussi dure et sèche que rassurante,
Je ressens l’apaisement du temps infini
Comme le paysage naturel qu’il est devenu.
Il est le protecteur, le doyen du lieu.
Né solitaire dans son pré de verdure,
Il jouit de son territoire immobile
Sans imaginer l’étendue du monde.
Il aurait aimé, c’est sûr, goûter l’air marin
Sillonner les vallées escarpées,
Voir les sommets enneigés.
Aurait-il préféré naître dans une forêt et converser avec des frères ?
Il règne ici au-dessus des herbes,
En être respecté et solitaire.
Il ne demande rien, ne cherche rien,
Il est en osmose avec l’air, la terre et l’eau,
Avec la lumière et la faune,
Dans une vie duale exposée dans les airs
Et cachée en profondeur.
Deux mondes parallèles pour deux vies simultanées
Et interdépendantes.
Il est à l’interface du monde,
Un témoin des entrailles et des vents.
Il est hors des âges
Comme un sage qui vit au présent en témoignant du passé,
Un livre d’histoire vivant qui garde les traces du vécu.
Il a connu tous les temps, les bonheurs et les souffrances,
Il a vu des vies naître sous ses branches,
Et d’autres s’éteindre dans la nuit.
Il a vu des couples se former,
Il attend quotidiennement le retour de son ami le soleil
Avec qui il partage la nature et bien plus encore.
La vie perdue des fleurs
Le destin tragique d’une fleur
Qui éclot de la terre profonde
Depuis le néant sans couleur
Et s’en va embellir le monde
Elle pousse éplorée sous le verre
De son cachot de pépinière
Quérant la jaune étoile mère
Sans jamais toucher la lumière
Dans son îlot caniculaire
Elle qui s’ingénie dans le pot
Ignorant le souffle de l’air
Pour gagner une goutte d’eau
N’a-t-elle jamais vu le soleil
Que déjà ses couleurs jaillissent
Et son parfum léger s’éveille
Grisant les sens par sa malice
Victime de sa beauté naissante
Elle est tranchée net, si fragile
Si frêle, délicate et tremblante
La tête coupée de la tige
Puis la voici mise en avant
Étalée dans une vitrine
Pour le beau plaisir d’un chaland
Qui en prendra plein les narines
Il la flattera de ses mots
Sorties de ses yeux enivrés
Elle parfumera en écho
L’esprit aussitôt envouté
Il la cueillera en boutique
Pour l’offrir à une amie morte
Avec le devoir maléfique
De rester digne, douce et forte
À la cérémonie funèbre
Elle sera la belle qui égaye,
Puis viendra au pied de la stèle
Reposer sur le grand sommeil
Revêtue d’un papier linceul
Elle vêtira cette triste pierre,
Dans le froid elle sera si seule
Que c’est elle qui sera en bière
Simple et transparent, son suaire
Exhibera aux yeux de tous
Sa mort et sa fin en poussière
Elle, flétrie, noircie et pourrie.
Elle était rose, elle était jaune,
Elle était blanche, elle était pure
Elle sentait le parfum des baumes
Elle respirait pour la nature
Elle s’efforçait de l’embellir,
Mais n’aura pas vu le soleil,
À peine le temps de fleurir
Elle aura été la plus belle.
L’homme est une feuille
Les feuilles des arbres,
Vertes toute la saison,
Puis rouges belles pour quelques jours,
Et enfin marrons et elles tombent.
Elles passent toute leur vie
À pousser, se développer, se transformer
Puis deviennent enfin plus belles
Avec leur couleur rouge.
Mais cette beauté ne dure que quelques jours
Et elles meurent en tombant.
L’homme est si proche de la feuille,
Il passe sa vie à grandir,
À apprendre, à se construire,
Et quand il est enfin mûr, il meurt.
Sans jamais n’avoir vu que son arbre.
L’homme est une feuille (2)
Les feuilles des arbres, vertes toute la saison,
Puis rouges colorées belles pour quelques jours,
Et vite déjà elles tombent dans le triste marron
Elles quittent l’arbre et s’en vont pour toujours.
Elles passent toute leur vie à pousser, se développer
Puis enfin avec leur couleur rouge deviennent plus belles
Mais cette acmé ne dure qu’un jour, et déjà vieilles
Elles meurent et finissent en silence par tomber.
L’homme est si proche de la feuille inachevée
Il passe sa vie à grandir, apprendre, se construire,
Et quand un jour il atteint son apogée
Le temps est venu pour lui de partir
À peine épanoui, à la maturité, il meurt
En croyant parfois qu’un avenir est ailleurs
Soufflé par le vent et pris par les temps,
Il n’aura connu que sa branche et son champ.