3e partie
Jacques est vraiment peiné de voir que certains de ses proches vont à l’église le dimanche. Il essaie de les convaincre qu’ils font fausse route. Maintenant qu’il connaît les textes, il parle des origines des écrits, des invraisemblances, des erreurs manifestes. Mais personne ne l’écoute, ou plutôt tout le monde le repousse : « Ces jeunes qui font des études et qui se croient plus malins et plus intelligents que les autres finissent par tourner mal et par remettre en cause le savoir de leurs parents ! ».
Jacques découvre, stupéfait, qu’avoir raison est inutile pour s’imposer. Les gens ne suivent que le chemin sur lequel ils sont lancés, et n’en changent jamais. Ils pensent que ce qu’ils croient est vrai car ils le croient ! Aucune remise en cause n’est possible, aucune argumentation n’a le pouvoir de changer la trajectoire lorsqu’elle est tracée depuis la naissance. Les poids de l’héritage, de la culture et des coutumes sont encore immenses, même dans ce monde qui se dit moderne. On continuera à fêter Pâques car il y a des gens qui croient en la résurrection de Jésus, et des gens qui doutent mais qui perpétuent la tradition. Celui qui questionne et qui remet en cause est un imposteur s’exclut lui-même du cercle familial.
Jacques, qui a désormais le bagage nécessaire pour se libérer des dogmes et des errances, est incapable d’emmener sur son chemin ses proches qui n’ont pas fait les mêmes efforts que lui. Il se sent seul. Mais il n’a d’autres choix que de s’éloigner de sa famille.
Pendant plus de dix ans, il refusera systématiquement de rentrer dans une église, à l’exception d’une cérémonie pour le décès d’un ami mort accidentellement à l’âge de vingt-cinq ans. Plus tard, un peu assagi ou peut-être simplement résigné, il acceptera de retourner dans les églises pour des visites touristiques et culturelles uniquement. Jamais plus il n’écoutera un prêtre. Et il refusera de se marier religieusement.
Un jour, lui revient cette question éternelle de l’origine du monde. Il se penche alors sur les autres cultes, car, au fond il ne les connaît pas. Il commence par la première des religions monothéistes : le judaïsme. Mais il découvre que la religion juive repose en grande partie sur les mêmes textes que le christianisme – l’Ancien Testament –, il en déduit immédiatement que cette religion n’a guère d’intérêt. Lui qui a déjà rejeté Adam, Abraham, Moïse, et les autres, ne peut pas aller vers une religion qui les vénère. Il a d’ailleurs bien du mal à distinguer le catholicisme et le judaïsme. Au fond, à l’exception de quelques détails pratiques, les disciples des deux cultes prient le même Dieu et ont des prophètes communs. Les jours de fête diffèrent entre les deux religions, les rituels sont légèrement différents, mais les origines sont les mêmes et les textes sont similaires.
Il essaie ensuite de lire le Coran mais il y voit rapidement un texte incompréhensible, sans message clair, et plein de contradictions. Contrairement à la Bible chrétienne qui a été réécrite à plusieurs reprises pour mieux coller avec les cultures des différentes époques, le Coran est plus proche des textes initiaux rédigés au septième et huitième siècles, après la mort du prophète Mahomet, ce qui le rend indigeste aux yeux de Jacques. Il relève toutefois que le texte est le fondement d’une doctrine politique et sociale, et l’assume. Cette revendication apparaît beaucoup plus clairement que dans les textes chrétiens ou juifs.
Certains versets appellent au châtiment contre les mécréants. Jacques qui est non-croyant – et donc un mécréant –, se sent mal en lisant ces lignes. Serait-ce un appel au meurtre ? Serait-il en danger ? Est-ce que ses amis musulmans ont lu ces versets ? Comment les ont-ils interprétés ? Ils n’ont jamais été menaçants, auraient-ils une pratique religieuse cachée ou au contraire infidèle aux textes ? Jacques trouve aussi des versets tolérants avec les mécréants. Lesquels faut-il suivre alors ? Difficile de s’y retrouver dans un texte illisible qui préconise la violence à certaines pages et la paix à d’autres pages.