Jacques se dit croyant. Il est encore jeune mais se pose déjà des questions existentielles, il a besoin de savoir d’où vient le monde. L’idée d’un dieu créateur lui apporte à la fois une réponse et un réconfort. Donc il croit, ou plus exactement il suit le chemin qu’on lui indique, il fait ce qu’on lui dit de faire et il croit ce que ses parents croient. Il croit qu’un être est fait d’un corps et d’une âme, et qu’à la mort, le corps disparaît tandis que l’âme monte au ciel. Il voudrait tout de même comprendre ce que peuvent bien être l’âme et le ciel dont on lui a parlé. Parfois, il a l’impression d’être en liaison avec quelque chose qu’il ne voit pas, et se dit que c’est peut-être une manifestation de son âme, ou de l’âme d’un ancêtre décédé qui vient à sa rencontre. Quant au paradis et l’enfer, il n’y a jamais cru, il s’agit juste d’une réplique du père noël et du père fouettard dont il sait depuis quelques années déjà qu’ils n’existent pas.
Il sait se poser des questions mais n’a pas encore la maturité pour trouver lui-même toutes les réponses. Alors il prend les réponses toutes faites qu’on lui fournit. Il va au catéchisme les mercredis, ce qui lui offre un cadre différent pour retrouver quelques copains d’école, eux aussi issus de familles qui accordent une grande importance aux traditions. Il y passe généralement un bon moment, bien que parfois il ait préféré rester à la maison pour regarder les programmes jeunesse à la télévision. Il apprend par cœur ce que lui enseigne la catéchèse, même s’il ne comprend pas très bien ce que l’on essaie de lui expliquer. Il détecte des contradictions dans les textes, et voit bien qu’il y a à la fois trop de détails et d’imprécisions, et aussi beaucoup d’invraisemblances. Quand il pose des questions sur l’origine des textes ou interroge sur leur véracité, la catéchèse est incapable de répondre. Elle ne semble pas être certaine de ce qu’elle enseigne, ses réponses ne sont ni assurées, ni convaincantes.
À douze ans, Jacques fait sa communion solennelle, que certains appellent la grande communion pour mieux signifier qu’elle marque l’entrée, pour les chrétiens, dans le monde des adultes. On parle aussi de Profession de Foi, car les jeunes croyants y déclarent publiquement leur foi chrétienne, en renouvelant les engagements pris pour eux par leur parrain et marraine lors du baptême. Jacques avait deux mois quand ses parents ont organisé son baptême et il ne se sent nullement engagé par les signatures de son parrain et de sa marraine, dont le rôle se limite à ses yeux à offrir des cadeaux à Noël ou pour les anniversaires, sans rapport avec la foi. Son parrain préfère d’ailleurs les grasses matinées à la messe du dimanche matin, mais la marraine est une fidèle pratiquante.
Pour se préparer à sa Profession de Foi, Jacques participe à la retraite où pendant deux jours une centaine de jeunes garçons et filles de son âge sont réunis dans une grande salle des fêtes d’un village voisin, et sont invités à réfléchir sur leur vie spirituelle. Le premier jour, on leur rappelle les bases de la foi, on leur montre le chemin pour vivre dans la lumière du Christ, et on parle du péché et du pardon, du bien et du mal. Le deuxième jour, Jacques et les autres doivent s’engager dans la vie chrétienne, en rédigeant un texte personnel de profession de foi, et en répondant « Je crois » aux questions essentielles de la foi chrétienne :
« Croyez-vous en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ? »
« Croyez-vous en Jésus Christ, son fils unique, notre Seigneur, qui est né de la Vierge Marie, a souffert la passion, a été enseveli, est ressuscité d’entre les morts, et qui est assis à la droite du Père ? »
« Croyez-vous en l’Esprit Saint, à la sainte Église catholique, à la communion des saints, au pardon des pêchés, à la résurrection de la chair, et à la Vie éternelle ? »
Jacques sent que son parcours spirituel va bientôt prendre fin, car il ne croit plus. Il commence à penser et à refuser les dogmes. Il sait que la terre et le ciel sont issus de la formation des galaxies et n’ont pas été créés par qui que ce soit. Il sait que la vie de Jésus est une hypothèse, que la virginité de Marie et la résurrection de son fils sont des chimères. Et que signifie « assis à la droite du Père » ? Et que dire de « l’esprit saint » et de la « vie éternelle » qui sont les sources de siècles d’errance et d’erreurs dans la représentation que les humains se font du monde ?
Au moment de dire « Je crois », Jacques se met en mode play-back comme à l’église quand on lui demandait de chanter. Ainsi, il ne fâche personne, fait fi de suivre l’itinéraire qu’on lui impose, mais ne se sent nullement engagé car il ne dit pas les deux mots sacrés qui sonneraient pour lui telle une sentence irrévocable.
En fin d’après-midi, on emmène les jeunes adultes dans un stade pour une grande messe célébrée par l’évêque du diocèse. Il y a là plusieurs groupes venus d’autres paroisses. Au total, près de cinq cents jeunes vont recevoir le sacrement de pénitence de réconciliation. Quelques jeunes, choisis parmi les plus engagés, vont lire publiquement leur profession de foi. Jacques préfère rester loin de tout cela, et s’assied dans l’herbe au milieu des autres dans l’anonymat total.