L’unique solitude
Voir derrière la peau ce que tu caches dans ton monde intérieur.
Au-delà de ce que pressent ma caresse sur ton épiderme doux, délicieux, attirant,
Au-delà de la sensualité et du désir, de la passion,
Au-delà de ta parole et de tes secrets de surface, se cache ton monde intérieur.
Celui qui te rend forte, unique, essentielle.
Mais, toi seule y a accès, toi seule le connait, toi seule le ressent, le voit, et le vit.
Derrière ta façade qui ne laisse apparaître que des miettes de personnage, il y a un être complexe, multiple, talentueux, sensible.
Mais qu’aucun ne peut voir.
Au fond, tu es la seule à connaître qui tu es. Les autres ne le sauront jamais. Jamais !
Car la vie intérieure ne se partage pas. C’est ainsi. Et c’est l’unique solitude.
Je ne te connaîtrai jamais vraiment. C’est une souffrance inéluctable. Mais l’accepter c’est te respecter.
D’ailleurs je ne cherche pas à regarder derrière ta peau tel un monstre prêt à l’outrage et au viol.
Et si je détourne mon regard de ta carapace, c’est aussi pour te demander égoïstement de ne pas transpercer la mienne.
Car, moi aussi, j’ai sous mon derme un contenu secret et inaccessible.
Dans mon intérieur, le parfum immonde, nauséabond, abject, se mélange avec les images des entrailles bouillonnantes dans le dégoût.
Élégamment, ma peau inhibe ma laideur bestiale et me préserve du spectacle malodorant ; avec sa présence, mon physique n’est pas si repoussant. Que penserais-tu si tu voyais à travers elle ?
Ma peau occulte toute la complexité de mon être, de mon cœur qui bat jusqu’à ma tête qui cogite, de mon moteur mécanique et chimique jusqu’à mes influx électriques le long des axones.
Elle recouvre mes pensées, bien que je ne sache où elle les cache.
La peau, telle une mère, protège en silence, en toute discrétion. Elle sait préserver ce que je ne veux partager ou avouer. Elle sait cacher les erreurs, les errances, les excès, les hontes aussi.
Derrière l’être qui vit, il y a toujours une peau qui cache les douleurs, les faiblesses et les doutes.
On ne communique qu’en façade, avec des bouts de soi échangés çà et là aux hasards des occurrences.
On montre sa peau à l’autre. Pourtant, même ensemble on reste seul, chacun avec son propre monde intérieur. On ne partage que nos apparences, jamais notre monde intérieur.
Le soleil obscur
Le soleil rayonne sur ma peau,
En toute liberté.
Je fais face je défie l’oiseau,
En toute liberté.
Face au feu, je ne brûle pas, je combats,
J’affronte la lumière en tête-à-tête,
Je fixe droit l’étoile brûlante
Avec mes yeux guerriers
Tout grand ouvert comme la gueule du loup.
Sur ma rétine, la couleur noircit
Mais je tiens le regard.
Je lui renvoie ses rayons lumineux,
Mes deux yeux pour un unique soleil,
C’est moi qui commence à briller.
Le soleil chauffe, il éblouit,
En toute liberté.
Mais je suis plus fort que lui,
En toute humilité.
Il y a des jours où je me sens si fort
Qu’affronter l’astre lointain, éternel,
Est un jeu d’enfant qui découvre la lumière,
La puissance et l’enfer.
Oh ! Il n’y a pas grand espoir
De gagner la bataille
Dans ce monde incertain
Où chacun voit sa lumière plus brillante
Plus belle, plus forte, plus certaine
Que celle de son simple voisin.
Le soleil rayonne tout là-haut,
En toute liberté.
Je fais face, j’affronte l’oiseau,
En toute liberté.
Quand je serai plus grand, un jour, je dirai
« Je suis plus fort que le soleil »,
Et si je ne suis plus là, alors
Mes enfants diront que j’étais le plus fort.
Je deviendrai le prophète du bonheur
Qui sèmera – comme les autres – le malheur.
En battant le soleil, j’ai dompté la lumière,
Je peux à présent triompher sur la Terre,
Accrocher à mon immense filet les hommes,
Les tromper, les abreuver d’opium.
Le soleil pénètre ma peau,
En toute liberté.
Je fais face, je suis le plus beau,
En toute liberté.
Je suis celui qui apporte la lumière,
Qui éblouit les âmes pauvres,
Et qui dicte les actes et les mots.
Je ne crains ni le noir ni le temps,
Je répands mon halo dans les vents
Comme le phare qui rayonne dans la nuit
Et condamne les gueux à venir à lui
Toujours plus prêt jusqu’à la brûlure,
Où s’abandonne à la mort le futur
Trahi, brouillé, immature.
Le soleil rayonne sur ma peau,
En toute liberté.
Je fais face, je défie l’oiseau,
En toute liberté.
Il brille dans le ciel, sûr de lui,
Tout en bas, tout petit que je suis,
Mon regard est puissant
Et mes yeux sont si grands.
Mais je sens déjà que j’ai perdu,
La vie est trop courte, j’ai fondu.
Le soleil rayonne sur ma peau,
En toute liberté,
Je fais face, et je disparais,
En toute liberté.
Évaporation
Je transpire tant. L’eau s’évapore de mon corps comme d’une piscine qui s’assèche. Et je sens qu’elle emporte avec elle des émotions, des souvenirs, des idées. Chaque flot m’affaiblit. Chaque goutte perdue est un bout de moi-même qui s’en va.
Je pleure de tout mon corps, sauf de mes yeux cachés derrière des verres noirs.
Il est des chaleurs, il est des climats, il est des vents secs, qui peinent à jamais et qui étouffent jusqu’à l’évanouissement.
En ces temps de chaleur extrême, ma peau est devenue un immense port et chaque pore est un quai d’où s’échappe ma fièvre sensible.