2e partie : La mort ou la mer
Quelques mois plus tard, alors que je suis toujours secoué par cette expérience et que je cherche encore à comprendre pourquoi de jeunes gens en viennent à risquer leur vie, et à s’en remettre à une bonne étoile ou à la bonté des marins, je vois à la télévision sur la chaîne Arte un documentaire sur le groupe insurrectionnel islamique Boko Haram. Il s’agit d’un film de Xavier Muntz « Boko Haram, les origines du mal », qui explique la naissance au Nigeria et l’émancipation du mouvement religieux Boko Haram qui, au nom de la charia, sème la haine et la mort partout où il passe. Le documentaire pointe les responsabilités de l’État Nigérian dans le développement de la secte. Les exactions de l’armée et la barbarie de Boko Haram sont montrées avec des images et des témoignages terrifiants.
Le groupe islamique est apparu dans le nord-est du Nigeria en 2002 dans l’état très pauvre de Borno où la charia a été décrétée dès 2001. Boko Haram n’est au départ qu’une secte mineure qui prône une charia rigoriste sans commettre d’exaltations, mais, au fil des années, elle réussit à fédérer un mouvement alliant des opposants au régime et des fanatiques islamiques qui attaquent les mécréants. Jusqu’au début des années 2010, les autorités Nigérianes réagissent de la pire manière en tuant le peuple innocent au lieu de le protéger : en représailles des attaques criminelles de Boko Haram, la répression de l’armée est cruelle et démesurée, les militaires sèment la terreur dans les villages en incendiant les quartiers suspectés de compter des membres de la secte. Pensant que tous les habitants du nord-est du pays soutiennent Boko Haram, ils traitent toute la population comme des terroristes, y compris les innocents et les premières victimes de la secte. L’armée enlève et torture à mort les jeunes gens, elle mène des expéditions punitives en exécutant les hommes en nombre et en public. Des hommes sont forcés de creuser leur propre tombe, puis obligés de sauter dans le trou pour mourir. D’autres sont priés de s’allonger à terre au bord du trou, avant de prendre une balle dans la tête. Tout cela ne fait que renforcer le soutien d’une part grandissante de la population à Boko Haram.
Le peuple se retrouve alors sous la double menace mortelle de l’état et du groupe insurrectionnel. Ce dernier fini par prendre le dessus sur l’armée. Les hommes de Boko Haram tuent, tuent, et tuent encore. Ils détruisent des centaines de villages, et ils tuent hommes, femmes, enfants, à bout portant avec des fusils-mitrailleurs, en les égorgeant, ou en les brûlant… Il n’y a aucune limite dans la terreur, dans le chaos.
Dans un autre film, on peut voir de jeunes gens se promener armes à la main, s’approcher au hasard d’autres personnes, et, sans crier gare, les tuer gratuitement. Dans la rue, on questionne un homme, il hésite une seconde pour répondre, et trop tard, il est tué. Les images ressemblent à celles des jeux vidéo de guerre dont la télévision fait la publicité à des heures tardives. Les récits de quelques habitants qui ont survécu à ces massacres relatent des faits d’une violence inimaginable. Toutes ces scènes terrifiantes me rappellent les exaltations commises en Irak et en Syrie par l’État Islamique et largement diffusées dans les médias occidentaux et sur le web. Comme celles où des mécréants sont égorgés, immolés, jetés d’un toit, ou torturés dans une cage métallique brûlante. Je me souviens avoir vu ces images à la télévision espagnole lors d’un séjour à Barcelone. Boko Haram et l’État Islamique ont en commun de filmer leur barbarie, et de fournir des vidéos au monde entier…
Au fil des années, les autorités nigérianes se ressaisissent et s’attaquent enfin au groupe terroriste avec le soutien d’une coalition internationale comprenant notamment les pays francophones voisins. En France, on a parlé de Boko Haram en 2014 au moment où le groupe a kidnappé 276 lycéennes au Nigeria. Quatre ans plus tard, cent trois d’entre elles sont libérées. Pourront-elles un jour connaître une vie normale ? Et que dire pour les cent soixante-treize jeunes filles – devenues aujourd’hui femmes – toujours sous l’emprise de la terreur ?