Après une interminable attente, l’évêque apparaît enfin sur la scène et est acclamé comme une rock star. Il ne dira que peu de mots pendant la cérémonie, laissant le travail à ses adjoints, il ne se lèvera que pour dire un texte court à destination des jeunes adultes. Mais la plupart d’entre eux ne l’entendront pas, il articule mal dans un micro dont le son est trop faible, et les jeunes qui patientent sous le soleil estival depuis des heures ne sont plus attentifs, leurs pensées vont à d’autres préoccupations. Seuls les premiers rangs, fournis de futurs religieux, répondent encore aux louanges des hommes en habit. Si, pendant la retraite le curé était le chef, ici c’est l’évêque qui prend l’autorité sur tous les croyants. Le poids de la hiérarchie est un élément qui déplaît à Jacques.
Il est aussi marqué par les rôles respectifs alloués aux hommes et aux femmes : sur la scène, les officiels en habit sont tous des hommes, alors qu’en bas, il n’y a que des femmes pour accompagner les bambins qui s’impatientent. Elles ont passé deux jours à supporter ces adolescents désœuvrés, à les encadrer, à répondre à toutes leurs sollicitations, à organiser les activités, à fournir les repas et boissons, à leur enseigner le pardon et le don de soi, à leur apprendre la fidélité envers Jésus, à leur montrer le bon chemin, en un mot à les éduquer, elles ont aussi passé des heures à préparer la célébration finale devant accueillir les cinq cents jeunes et leurs familles ; les hommes en habit, quant à eux, ne sont arrivés que pour la cérémonie, en retard, et ont été acclamés par la foule.
Le dimanche suivant, une célébration a lieu dans l’église de la paroisse pour fêter la profession de foi des jeunes villageois. Ils sont huit dont Jacques et cette fois-ci, pour la première fois, ils portent l’aube blanche, signe de pureté, recouverte d’une croix. Le curé du village, maître dans son église, reprend le pouvoir, aidé par quelques dames vouées à la cause religieuse. La cérémonie se déroule selon un rituel bien rodé et répété à maintes reprises. Chaque jeune connaît son rôle, tient sa place assise, et se lève aux ordres du curé. Au bout d’une heure, le prêtre remet à chacun d’eux un exemplaire du Nouveau Testament. Jacques se demande combien de personnes présentes dans la nef ont vraiment lu ce livre, qu’elles sont toutes supposées connaître.
Après la cérémonie, Jacques se plie au rituel des photos, bien qu’il se sente ridicule avec cette aube. Il se laisse prendre avec ses parents, sa marraine, son parrain, ses grands-parents. Tous semblent si fiers et heureux que le garçon grandisse et prenne sa place dans le monde des croyants. Lui est content de réunir la famille mais ne ressent pas la moindre fierté. Sa foi est déjà partie. Ce dimanche, ses parents ont invité toute la famille à la maison pour fêter la grande communion de leur fils. Il y a là les grands-parents, les oncles et tantes, les cousins et cousines, en tout plus de trente personnes dont des cousins éloignés que Jacques ne connaît pas. Le curé est aussi invité à partager l’apéritif. Chaque invité offre un cadeau à Jacques, souvent une enveloppe avec un ou deux billets à l’intérieur.
Pour la première fois de sa vie, Jacques est l’objet d’une grande fête, il est au centre de toutes les discussions. Tout le monde est venu pour lui. Il en est presque gêné. L’apéritif et le repas sont joyeux. L’après-midi, les enfants jouent au ballon, tandis que les grands font une partie de pétanque. Et le soir les convives se retrouvent à nouveau autour de la table, avant de rentrer chez eux. Jacques est content de sa journée, il est heureux.
Mais la joie a aussi un petit goût amer quand elle est le fruit d’un malentendu ou d’un mensonge, car cette belle journée résulte d’une profession de foi qu’il refuse désormais. Il est maintenant certain de ne pas avoir la foi. Les trois questions de la foi chrétienne lui ont fait prendre conscience des dogmes, de l’arbitraire et des mensonges de la religion. Il les refuse catégoriquement. Aussi ce jour de communion marquera définitivement la fin de son itinéraire de croyant.