Il appela son concierge pour lui dire qu’il ne viendrait pas car il devait se rendre au commissariat ; il l’autorisa à rentrer chez lui pour stopper le dégât des eaux. En revanche, il n’appela pas sa banque, oubliant totalement qu’on l’attendait au bureau. Son cerveau, bien que brouillé, avait peut-être encore un sens des priorités.
Quelques heures plus tard, après avoir donné son témoignage à la police, et fourni ses empreintes, qui forcément seraient sur le couteau, il se retrouva dehors, et marcha jusqu’à la station de métro. Il eut un moment d’hésitation. Pour la première fois de sa vie, il ne sentait pas en sécurité. Devait-il prendre le métro ou continuer à marcher dans la rue pour rentrer chez lui ? Les deux options l’effrayaient, car il craignait de croiser à nouveau un tueur fou à l’arme blanche. Finalement, il opta pour un taxi.
Arrivé chez lui, il constata les dégâts des eaux provoqués par la chute du radiateur de la salle d’eau. Le sol était noirâtre. Il fallait nettoyer le carrelage, faire les déclarations d’assurance, puis réparer le radiateur, faire venir un plombier, un plâtrier, un peintre, changer les meubles détrempés, etc. Des heures de galères en perspective. Mais William n’avait pas la tête à tout cela. Les formalités attendraient le lendemain. Après tout, la fuite d’eau n’était qu’un point de détail dans cette journée folle.
Au commissariat, il avait eu le temps de réfléchir. Il avait désormais pris conscience des évènements de la journée, et avait enfin les idées claires. Il avait en tête le déroulé de l’action, l’homme qui le bouscule puis brandit sa lame de vingt centimètres pour la planter à trois reprises dans l’abdomen de cette pauvre femme, puis l’attaque contre un homme plus âgé. Il revoyait aussi l’individu qui avait tenté d’intervenir mais avait pris un coup dans le dos, William s’en voulait de ne pas avoir eu lui aussi le courage – ou le réflexe – de cet homme valeureux. Un soutien de sa part aurait peut-être suffi pour éviter la grave blessure de ce brave homme pour stopper le tueur. Enfin, arriva un groupe d’hommes déterminés qui maîtrisèrent le tueur. Et William se saisit du couteau, dans un geste qui sauvait son honneur. Il avait au moins fait cela.
Il commençait aussi à prendre conscience que le tueur avait frappé au hasard sans choisir ses victimes, et qu’il aurait pu être l’une d’elles si le hasard avait différé de quelques mètres seulement. Un instant, il se dit qu’il avait été chanceux.
C’était peut-être pour se sentir moins seul, ou pour avoir un fond sonore moins silencieux, que William alluma la télévision. Il constata, sans surprise, que l’agression faisait les gros titres des journaux. Il prit aussi sa tablette, et son téléphone resté éteint depuis l’interrogatoire au commissariat. Le web parlait aussi de l’attaque. Il commençait à lire un article relatant la chevauchée du meurtrier, lorsqu’il reçut un premier message :
« On te voit sur les réseaux », accompagné d’un lien vers une vidéo de la BBC. Puis un deuxième message d’un autre ami :
« On t’a vu à la télé. »
William s’aperçut aussi que ses parents avaient tenté de le joindre une dizaine de fois pendant qu’il était au commissariat.
Il comprit toute cette agitation autour de lui lorsqu’il leva la tête en direction du téléviseur. L’agression avait été filmée par les caméras de surveillance présentes sur le pont. Le film passait en boucle à la TV. On voyait le couteau tomber au sol, et un homme s’en emparer pour l’éloigner du criminel. Cet homme était parfaitement identifiable, c’était William ! D’autres images filmées par des passants avec leur téléphone portable, montraient William, hagard, qui tenait le couteau puis le remettait aux officiers de police.