Il est pressé car il sait que le temps joue contre lui, l’éventualité d’un jour perdu ne se rattrape pas le lendemain. Alors, il va ou plutôt il court vers les uns et les autres, multipliant les expériences et les découvertes, à travers des regards, des écoutes, des discussions et échanges avec des femmes et des hommes de diverses origines, milieux et cultures ; il le fait avec le plus grand naturel, sans efforts, sans limites, sans frontières. Et sans se retourner.
Se perdra-t-il un jour ? Il ne le sait pas. Il va là où il désire. Il marche sur la voie dont il rêvait, celle qu’il a lui-même ouverte. Il trace un chemin qui n’existait pas. Et dans l’instant présent, le futur n’est qu’un horizon très vague au loin, sans arrivée certaine. Il sait qu’il doit ouvrir une route pour se créer son propre monde. Pour créer sa propre destinée. Et donner vie à son existence pour un jour peut-être trouver sa place et savoir qui il est.
Ainsi, il va à la rencontre des uns et des autres sans interdits. Les complexes du début font rapidement place à une aisance tout à la fois évidente et réfléchie. Sa sensibilité et ses yeux attentifs, doublés d’une ouverture d’esprit et d’une curiosité insatiable, le font parler juste en toutes circonstances. Il prend confiance et commence à étaler son bien-être au naturel et sa soif de connaissance. Il se construit. Cette vie hors-les-limites, qu’il recherchait tant, lui apporte de premières satisfactions.
Semblant proche de chacun, il est un paysan avec le paysan, un artisan avec l’artisan, un savant avec le savant, un politique avec le politique. Mais loin d’être un caméléon qui se transformerait pour tromper ses ennemis, il n’a pas une personnalité multiple choisie façon tiroir en fonction de son interlocuteur. Il est au contraire une personnalité ouverte aux autres, qui s’enrichit au contact de chacun en prenant des gouttes de pensées ici et là, et qui en retour apporte des idées nouvelles en parlant des uns aux autres, en partageant son vécu et ses analyses teintées de clairvoyance, et initiant peut-être un rapprochement futur des milieux.
Mais il prend soin de ne pas se dévoiler au-delà du strict nécessaire, car il garde une pudeur secrète et une prudence vertueuse. Dans cette nouvelle vie, la seule précaution est d’éviter le mélange, aussi il évolue à tour de rôle dans les deux camps en veillant à ne pas provoquer de rencontres entre les uns et les autres. Jamais il n’invite des personnes d’en haut et d’en bas à la même heure. Pourtant, il ne ressent pas une double appartenance, mais bien une appartenance unique, sans subir le moindre écartement, à un monde absolu et sans barrière. Sa vision de la société ne connaît pas de classes sociales. Mais il sait que ce point de vue est encore trop singulier, et qu’une telle position semblerait iconoclaste.