Elle et moi
De te voir, épeurée, une marche hésitante,
Te perdre, esseulée, dans la vie éclatante,
Quand ton champ de vision se réduit au néant
De halo trublion en flash éblouissant.
Et pour qu’enfin tu vois, je partage mes yeux,
Et je serre tes doigts, points sensibles et précieux,
Pour aiguiller tes pas dans tes nuits éternelles,
En soldat délicat dans ton monde cruel.
Que les mains tour à tour hasardeuses et velours
Se louvoient en secours pour des yeux de détour,
Tapotant l’obstacle transparent au regard,
Deviennent l’oracle quand ton œil ne peut voir.
Les doigts sur un visage pour construire le portrait
En faisant un maillage pour démasquer les traits,
Mon visage et le tien, t’en souviens-tu encore
Toi qui n’a plus moyen de regarder nos corps ?
Et moi, de soir en soir, je te donne mes yeux
En guise d’allumoir pour une nuit à deux,
Tu m’offres pour recevoir, me rendant lumineux,
Tes mains comme un savoir, et une ode à nous deux.
Et si tu prends mes yeux et si je prends tes mains
Dans l’élan amoureux qui croit au lendemain,
On se donne le cœur, on se donne la voix,
On se donne les couleurs, les saveurs et les joies.
Lorsque le praticien du haut de sa puissance
Pour toi, ne peut plus rien, malgré ses connaissances,
Quand le verre est brisé, qu’il ne corrige plus,
Le laser dépassé, la chirurgie exclue,
Rétine et choroïde ou tissu vasculaire,
Détritus sordides qui écartent le nerf,
Se moquent des collyres, préférant la myopie
D’un funeste délire menant à l’atrophie.
Le vois-tu seulement mon regard qui te suit,
M’entends-tu simplement quand ma voix fait du bruit
Pour orienter ton cœur en direction du mien
Je te prends ton malheur que j’égare en chemin.
Et si je perds mes yeux, et si tu perds tes mains,
Nous serons tout au mieux pauvres mendiants demain
Je porterai nos cœurs et nous pourrons unis
Partager la douleur au bout de notre nuit.