Il est jeune, il est doué, il apprend vite. Né de parents modestes, travailleurs et volontaires mais peu ouverts sur la vie des autres, il bénéficie d’une bonne scolarité. Ses connaissances, son esprit, sa culture, et sa capacité d’adaptation avec les situations et les personnes de toute origine lui ouvrent rapidement les portes. Il est un polyglotte qui parle à tous les êtres, aussi à l’aise avec le paysan, l’enseignant, l’ingénieur, ou le directeur, car tel un écrivain, il connaît ou au moins entrevoit la vie de tous à travers une sensibilité aiguë et une curiosité infinie.
Il se sent prêt. Il sait qu’il peut maintenant franchir la barrière pour fréquenter les gens de l’autre camp. Et le voilà désormais dans un monde nouveau, au risque d’être renié par sa famille et ses proches. Son père dont la besogne constitue à la fois l’unique passion et l’unique fierté, restera à jamais soucieux de la continuité. Lui qui s’était toujours tenu au chemin tracé par ses aïeux et qui pensait avoir offert un parcours à suivre pour son fils, ne se remettra pas de cet envol qu’il voit comme un reniement. Il ne comprendra pas ce fils dont les idées et la clairvoyance le dépassent. L’âge n’y fera rien. Le père se muera dans une tristesse profonde et le silence du désintérêt, ne sortant de l’apathie que par de brusques emportements de protestation.
D’autres proches éprouveront un sentiment d’étonnement ou d’incompréhension devant ce parcours, se traduisant de prime abord par une mise en quarantaine qui, le temps passant, sera finalement levée. Certains éprouveront, le plus souvent sans rien dire, de la fierté ou de l’admiration, parfois entremêlée de la crainte de perdre l’un des leurs. Beaucoup se contenteront de l’indifférence ou de l’oubli : « après tout, chacun sa vie », « s’il est parti, c’est son affaire ». Mais aucun ne prendra conscience de la révolution en cours.
La destinée de cet homme est de vivre, en dépassant le mimétisme, au-delà des frontières sociales. Sa vie ne sera accomplie que s’il explore un monde inconnu de ses ancêtres. Il ne s’agit pas, pour lui, de vivre dans le grand monde, il ne recherche pas les honneurs, mais de vivre avec tout le monde, sans idées préconçues et sans fausses pensées, avec toujours la volonté de découvrir des choses, des idées et des expériences nouvelles, de rencontrer des personnages différents, de tout âge et de tous horizons, de partager le monde si petit pendant l’éphémère laps de temps de vie qui lui ait donné.