Ils avaient oublié
Se croyant à jamais hardis de souper à volonté
Se pensant éloignés des disettes narrées à la télé
Incrédules et jouisseurs ils ne pensaient sauf à bien vivre
Ils ne connaissaient rien qu’abondance et trop plein de vivres
Ils en étaient arrivés à ne manger que fin et sain
Ils en avaient oublié la faim
Abonnés du grand confort et des plaisirs à satiété
Air pure et thermostatée, eau froide et chaude à volonté
Quand d’autres tremblaient dehors, ils étaient fiers de leur aisance
Ne mettaient le nez dehors sans habits pour tromper les sens
Ils vivaient sous cathéter raillant que l’aiguille est un poids
Ils en avaient oublié le froid
Ils se voyaient éternels, ne croyaient que la maladie
N’était que pour les pauvres, coutumiers de la tragédie
Que la belle médecine de tous les maux les protégeait
Qu’un peu d’hygiène et de sport les immunisaient à jamais
Ils avaient oublié que les virus les ont précédés
Ils avaient oublié la santé
Se pensant à l’abri, ils croyaient que le mal et la guerre
N’étaient que des outils militaires d’un passé millénaire
S’ils sévissaient encore mais loin dans des contrées reculées
En refoulant la peur, ils se croyaient en sécurité
Ils ne pouvaient songer qu’un jour ils franchiraient les frontières
Ils en avaient oublié la guerre
À force de se croire en majuscule dans la grande Histoire
Ils en avaient rompu le lien avec la juste mémoire
Ils avaient oublié les peurs et les pleurs de leur passé
Ils en étaient venus à ne vouloir jamais regarder
À côté du miroir comme pour fuir sciemment la vérité
Ils avaient oublié leur passé
Toi et les autres
Tu es né à Paris dans un nanti pays,
Tu te plains de l’école qui pourtant te décolle,
Tu envies à l’envi ceux qui n’ont pas d’ennuis,
Ceux que tu crois chanceux face à toi malheureux,
Mais pourtant tu sais bien, qu’au fond, tu ne vois rien
Tu oublies consciemment que si souvent tu mens
Quand tu parles de malheur, de ton mal et ta peur,
Toi qui manges sans fin quand d’autres ont juste faim.
Du haut de tes vingt ans tu files sur les vents
Comme la feuille vague, sûre de ses idées vagues,
Tu te dis sacrifié, qu’avant c’était aisé,
Que tout était donné, le chemin tout tracé,
Oubliant simplement qu’ils avaient des tourments,
Ne pouvaient se soigner, n’avaient pas à manger
Tous les jours à leur faim, mais se battaient sans fin
Pour qu’un jour leurs enfants soient fiers de leurs parents.
Tu grandis, t’élargis, et quand tu réagis,
Tu crois être le seul avec tes coups de gueule
À faire bouger les lignes quand tous les pions s’alignent,
Mais tes mots sont si nuls, stériles et ridicules,
Comment penser que dans ton bel appartement
Ta cuisine intégrée, tu ne manges à ton gré
En songeant aux voisins qui rêvent d’un peu de pain,
Tout est égoïsme et je-m’en-foutisme.
Longtemps tu t’es gavé, ils étaient affamés,
Et déjà trop âgé pour enfin partager
Toujours aussi infâme dans ton corps et ton âme,
D’envieux qui fait envie à vieux qui perd la vie,
La tienne n’a pas servi, n’en tienne à ta survie,
Pour que demain le monde devienne moins immonde
Pourtant tu le sais bien, qu’avec un peu de bien,
Le monde peut demain devenir plus humain.
L'ignorance
Tu avais ton père,
Il avait sa femme,
Elle avait sa fille,
Qui avait son frère,
Et moi, j’avais le soleil.
Elle avait son époux,
Il avait son fils,
Qui avait ses sœurs,
Elles avaient l’envie et l’insouciance,
Moi, j’avais le regard.
Ils avaient la paix,
Ils aimaient le bonheur,
Ils voulaient vivre, c’est tout
Ne pas voir plus loin
Profiter du chemin.
Moi, j’avais la tête
Qui tourne et qui cherche
Je respirais pour trouver les secrets
Je voyais les idées cachées
Je prévoyais ce qui allait arriver.
Ils n’avaient pas la méfiance
Ils n’avaient pas l’imagination
Se voyaient au présent,
Se croyaient pour toujours
Oubliant le temps qui les use pourtant.
Quand le drame est venu
Ils n’étaient pas prêts
Ils étaient perdus
Refusant l’après
Ils étaient finis de ne pas avoir prévu.
Mes paroles s’étaient égarées
Ne touchant jamais leurs oreilles bouchées
Mes signaux ne les avaient pas atteints,
Ils étaient vains et il était tard
Ils étaient des vieillards.
Il arrive souvent que le sage ait raison
Mais il a toujours tort face à l’ignorance
La lumière ne pénètre jamais les yeux obstrués
L’évidence ne se voit que si elle est regardée,
Analysée et maturée.