De cocarde
Mon ami, qui était jeune et vieux à la fois,
Causait continûment de sa vie et ses choix,
Il accueillait les passants amis ou curieux
Pour une visite enjouée de son milieu.
Il avait le don, sans facultés singulières,
De s’accorder les gloires des uns et des autres,
De faire sienne l’histoire passée, toujours si fier,
Flambard et radieux, le regard droit, le front haut.
Fier de la terre comme s’il en était propriétaire
Fier des mets raffinés comme un chef légendaire
Fier des crus millésimes comme s’il était vendangeur
Fier de la culture nationale comme s’il était un auteur
Fier des paysages comme s’il les avait dessinés
Fier de sa montagne comme s’il l’avait élevée
Fier de son littoral comme s’il l’avait embelli
Fier de son pays comme s’il l’avait bâti
Fier de sa religion comme s’il était penseur
Fier de la République comme un sénateur
Fier de son équipe comme s’il était joueur
Fier de l’économie comme un cadre supérieur
Fier de son bercail comme s’il l’avait construit
Fier de son esprit comme s’il était instruit
Fier de sa femme comme s’il en était maître
Fier de son chien aussi fier que son maître
Fier de ses yeux, fier de son nez
Fier de ses jambes, fier de ses pieds
Fier de son corps comme s’il n’était pas inné
Fier de sa mémoire pourtant vite oubliée
Convaincu, tel un enragé manquant d’idées,
D’un savoir sans failles et d’une richesse aisée
Il s’était attribué les biens et cultures
Mêlant le « on » et le « je » dans une inculture
Mon ami, si confiant jusqu’à l’aveuglement,
Couvert d’attentions honnêtes et sincères pourtant,
Aimait embellir avec désinvolture
Affabulant à l’excès jusqu’à l’imposture.